REFORME TERRITORIALE: Depuis 1851… Pas moins de 70 projets de découpage régional en France !

Il est toujours passionnant de penser les impensés et de faire l’histoire des évidences…

Prenons l’exemple de l’exercice intellectuel apparemment original et audacieux de proposer un découpage régional pour le territoire métropolitain français réorganisé depuis la Révolution Française en plus de 90 départements. On découvre grâce à l’excellent article de recherche en histoire de la géographie institutionnelle française que nous propose notre ami géographe normand et rouennais Arnaud Brennetot, que l’exercice de découper des régions françaises fut, à certaines époques, un véritable sport national ! 

Notamment à partir des années 1850 lorsque le courant régionaliste s’affirme pour proposer de regrouper les départements trop petits dans des ensembles territoriaux cohérents.

Depuis cette date et jusqu’en cette année faste et historique de 2014, Arnaud Brennetot a pu dénombrer pas moins de 73 projets de découpages régionaux qui ont été proposés ou expérimentés généralement dans l’optique de mieux organiser l’administration et de valoriser le potentiel économique du pays.

Histoire de ne pas réinventer, une fois de plus, le fil à couper le beurre, voici donc, ci-après, cet article à méditer au moment où un nouveau découpage déterminant pour l’avenir même de la Normandie vient d’être décidé.

Cet article, a enfin, pour nous un autre intérêt: celui de démontrer par la voie rigoureuse et objective des méthodes statistiques la validité de notre propre méthode de découpage qui consiste, en toute logique, à superposer comme par l’effet d’un calque transparent, la carte actuelle des départements et des régions administratives sur la carte des provinces d’avant 1789 pour repérer les permanences géo-historiques de temps long et créer à partir de celles-ci notre carte en quinze ensembles territoriaux régionaux cohérents.

En effet, quand on analyse ces 73 projets de découpages régionaux proposés depuis 150 ans on observe la permanence de certaines évidences liées à la géo-histoire: il y a donc des limites territoriales particulièrement stables que l’on retrouve dans pratiquement toutes les tentatives de découpage.

Pour l’Ouest de la France, deux entités territoriales émergent de par leur évidence: la Normandie et la Bretagne sur leur ensemble de cinq départements respectifs.

Figure 6 : Les frontières régionales les plus fréquentes au sein des découpages proposés entre le milieu du XIXe siècle et 1960

 

Extrait de l’article d’Arnaud Brennetot et de Sophie de Ruffray: la carte faisant état de la stabilité de certaines limites régionales dans une sélection de 41 projets de découpages régionaux proposés en France depuis 1851

Les gros traits marrons et bleus correspondent aux frontières régionales les plus évidentes: émergent ainsi sans peine, la Normandie, la Bretagne, le Poitou-Charentes,  la fusion Bourgogne-Franche Comté moins le Nivernais, une région Rhône-Alpes avec tout le Dauphiné, une région Val de Loire bien définie au Nord et à l’Ouest à côté d’une vraie région « Centre » constituée du Berry, Bourbonnais et Nivernais…

Dans l’Est les frontières sont tout aussi évidentes entre l’Alsace, la Lorraine et la Champagne de même, dans une moindre mesure, l’évidence d’une fusion entre l’actuelle région « Picardie » et la Nord moyennant le retour du Valois (Oise) en Ile de France.

Dans le Sud, apparait un vrai Languedoc augmenté du Vivarais (Ardèche) et une possible réunification de la Gascogne en Aquitaine (Landes et Gers)


A titre de comparaison, notre projet de découpage en 15 vraies régions…


 

L’article d’Arnaud Brennetot et Sophie de Ruffray à lire ci-après:

Résumé

Cet article propose une analyse comparative des découpages régionaux du territoire français suggérés à des fins politiques entre le milieu du XIXe siècle et les années 2010. L’analyse de ces cartes régionales permet d’identifier un certain nombre de structures spatiales caractéristiques de l’imaginaire régionaliste français. Certains ensembles géographiques apparaissent de façon récurrente et semblent s’imposer de façon spontanée alors que d’autres zones paraissent plus incertaines, compliquant le travail de découpage. La cartographie de ces découpages offre alors une grille de lecture qui permet d’interroger la proposition de redécoupage du Président de la République en 14 régions qui est soumise au débat parlementaire au cours de l’été 2014.

INTRODUCTION

  • 1 Cette volonté est confirmée lors d’un entretien télévisé donné sur BFM TV le 6 mai 2014. Cette fois(…)

1 L’année 2014 marquera sans doute une étape nouvelle dans l’histoire de la régionalisation française. Dès le 14 janvier, F. Hollande, Président de la République française en poste depuis mai 2012, évoque lors d’une conférence de presse la possibilité de fusionner les régions et d’en réduire le nombre à une quinzaine1. Quelques mois plus tard, lors de son discours de politique générale (8 avril), le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, déclare quant à lui souhaiter « réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone » d’ici au premier janvier 2017. Cette proposition a pour objectif d’ouvrir la voie à une vaste refonte de la carte administrative française et à la suppression des conseils généraux. Le 2 juin 2014, au travers d’une tribune parue dans la presse quotidienne régionale, F. Hollande propose un redécoupage en 14 régions qui confirme la volonté, au sommet de l’État, d’un changement rapide pour organiser les élections des conseils régionaux dès l’automne 2015. Pour cela, un projet de loi « relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral » est présenté au Parlement au cours de l’été 2014.

  • 2 Comité pour la Réforme des Collectivités Locales, Il est temps de décider, Rapport au Président de (…)
  • 3 Le rapport lui-même ne fournit aucune carte de redécoupage et ne donne aucun exemple précis de modi (…)

L’idée de réformer la carte des régions françaises avait déjà été formulée en 2009 par l’ancien Premier ministre É. Balladur dans un rapport sur la réforme des collectivités locales2 suggérant la réduction du nombre de régions3, sans qu’à l’époque la moindre réforme n’ait été entamée à ce propos.

Cette ambition de procéder à un redécoupage des régions revient à modifier le maillage créé entre 1956 et 1958. Celui-ci avait initialement été conçu pour être provisoire (Antoine, 1960). Or, les contours de ces régions ont connu très peu de changements par la suite : en 1958, à l’occasion d’une refonte partielle, la région alpine (Grenoble) a été rattachée à la région Rhône (Lyon) tandis que les Pyrénées-Orientales ont été affectées à la région Languedoc-Roussillon et les Pyrénées-Atlantiques à l’Aquitaine ; par la suite, en 1970, la Corse a été détachée de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur puis le district de la région parisienne est devenu la région Île-de-France en 1976. Hormis ces quelques ajustements, on constate une très grande permanence des périmètres régionaux. Une telle stabilité peut paraître d’autant plus paradoxale que les fonctions et les responsabilités politiques dévolues aux institutions régionales n’ont cessé, pendant ce temps, de se renforcer, avec la création des circonscriptions d’action régionale en 1960, des préfectures de région en 1964, des Établissements Publics Régionaux en 1972 puis, en 1982, avec l’attribution du statut de collectivité territoriale aux régions. Cette inertie a souvent été critiquée mais n’a jamais provoqué de débat public suffisant pour conduire à des modifications concrètes (Masson, 1990, Guigou, 2002, Hulbert, 2011). À ce titre, la question de l’impossible « réunification » des deux régions normandes illustre les difficultés politiques à faire évoluer un maillage territorial qui, par bien des aspects, semble avoir fini par se fossiliser (Procureur, 2008, Brennetot et al., 2012).

  • 4 À partir des années 1970, les propositions de découpages régionaux s’amenuisent, au fur et à mesure (…)

Si l’on ignore encore si la réforme sera conduite jusqu’à son terme, le projet de refonte du maillage régional souhaité par le Président de la République pose à nouveau la question de la pertinence des périmètres actuels. Entre janvier et mai 2014, pas moins de 15 propositions de redécoupages ont été publiés dans les médias d’actualité, certains titres de presse invitant même les lecteurs à proposer leurs suggestions par des constructions interactives sur le web. Ces propositions ne sont pourtant pas inédites et réactivent, au contraire, une tradition intellectuelle remontant à plus d’un siècle. C’est en effet à partir du milieu du XIXe siècle qu’émerge en France un nouveau type d’exercice intellectuel : l’essai de découpage du territoire national en régions politiques, au moment où s’affirme le mouvement régionaliste français. Même si, dès les années 1790, plusieurs administrations centrales s’émancipent du cadre départemental et inventent des périmètres supra-départementaux adaptés aux missions spécifiques qui leur sont assignées (divisions militaires en 1791, tribunaux d’appel en 1800, circonscriptions de l’Université impériale en 1808), il faut attendre les années 1850 pour que l’idée de créer des régions sorte des cercles administratifs et devienne un objet de discussion publique. À cette époque, plusieurs savants, publicistes ou hommes politiques se convainquent de la nécessité de réformer le maillage territorial hérité de la Révolution. Leurs analyses les amènent à prôner la création d’entités plus vastes que les départements, soit pour s’ajouter à eux, soit pour s’y substituer. Entre le milieu du XIXe siècle et les années 19704, plusieurs dizaines de découpages régionaux ont ainsi été proposés. Ces derniers offrent une matière intéressante pour qui cherche à saisir aujourd’hui les enjeux spatiaux et les difficultés théoriques qu’une telle opération recouvre inévitablement mais aussi à comprendre les débats contradictoires qu’elle suscite.

  • 5 Le mot a « un sens large qui renvoie à l’idée d’un découpage d’un ensemble spatial quelconque, les (…)
  • 6 R. Brunet souligne l’ambigüité de ce « cartésianisme géographique » : « Nous n’avons pas à découper (…)

L’examen de ce corpus de cartes régionales fournit en particulier l’occasion d’identifier les critères, implicites ou explicites, ayant présidé au choix des différents découpages. Plusieurs questions reviennent alors de façon récurrente : le nombre des régions, leur calibre, le choix des capitales, etc. En France, la « région » semble ainsi un terme incertain et polysémique reflétant l’association d’une Nation précocement unifiée et une mosaïque culturelle, économique, démographique (Piercy, 1997). Si les géographes s’accordent sur l’idée que la région correspond à la partie d’un ensemble géographique plus vaste, certains pensent qu’elle est le résultat d’une opération de découpage intellectuel ou politique5 tandis que d’autres estiment que la réalité dicte ce découpage6.

L’analyse et la comparaison des réponses fournies par les différents auteurs de propositions à toutes ces interrogations permettent de souligner la variété des choix possibles mais aussi de mettre en évidence les contraintes structurelles qui s’imposent à tout exercice de ce genre, expliquant ainsi pourquoi certaines régions actuelles ou à venir paraissent souvent plus prégnantes, plus évidentes ou plus légitimes que d’autres.


 

La suite de l’article est à découvrir sur le site de la revue en ligne « cybergéo »:

http://cybergeo.revues.org/26376

 

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