EPR de Flamanville : les quatre malédictions

 d’un chantier controversé

Le Monde.fr | | Par Audrey Garric  et Jean- Michel Bezat

 
Vue du chantier de l'EPR de Flamanville (Manche), en février 2014.

Le ciel s’assombrit toujours davantage au-dessus de l’EPR de Flamanville (Manche). Après l’annonce par EDF, mardi 18 novembre,

d’un nouveau retard pour le réacteur nucléaire de troisième génération, son démarrage est désormais prévu en 2017, cinq ans après le début des travaux. Et la facture déjà salée devrait déraper un peu plus. « Les travaux de ré-estimation sont en cours. Les chiffrages seront communiqués dans les prochains mois », a indiqué mercredi 19 novembre EDF.

Ce retard, lié aux nombreux aléas qu’a connus le chantier et aujourd’hui au problème de fourniture de certains équipements par Areva, a fait grimper le coût du projet : initialement fixé à 3,3 milliards d’euros, il devrait dépasser les 9 milliards d’euros. Des dépassements qui auront inévitablement un impact sur le coût de production du mégawattheure (MWh), et donc sur le prix de vente au consommateur final. Le cas de Flamanville est semblable à celui du site finlandais d’Olkiluoto, conduit par Areva, qui accuse lui aussi retards (neuf ans) et dérapage des coûts, qui ont presque triplé depuis 2005.

Vitrine de la filière nucléaire française, l’European Pressurized Reactor (EPR), conçu par Areva et l’allemand Siemens dans les années 1990, est censé comporter d’importantes améliorations en termes de sûreté. En cas de fusion du cœur du réacteur – situation la plus redoutée par les exploitants, qui s’est produite à la centrale japonaise de Fukushima en mars 2011 – le magma hautement radioactif pourrait théoriquement être piégé dans une « chambre d’étalement du corium ».

Par ailleurs, l’EPR comporte quatre circuits de refroidissement autonomes. Et les piscines de refroidissement des combustibles usés devraient être protégées par une enceinte de confinement. Au final, selon EDF, le risque de prolifération des matières radioactives serait quasiment nul, de même que les agressions extérieures (séisme, inondation ou chute d’un avion gros porteur).

Par ailleurs, Areva indique que l’EPR consommera environ 15 % de combustible en moins pour la même production de courant, et produira 10 % de déchets radioactifs à vie longue en moins. Le réacteur, d’une puissance de 1 650 mégawatts (contre 1 450 MW pour les plus puissants actuellement), a été conçu pour résister à des accidents internes et externes, affirme-t-on chez EDF et chez Areva.

L’EPR est pourtant en passe de devenir l’une des technologies les plus décriées. En tout cas des plus coûteuses.

  • Un calendrier sans cesse repoussé

Les travaux ont été lancés en 2007, après le feu vert donné à l’EPR par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2004. EDF avait à l’époque prévu cinq ans de travaux et un raccordement au réseau de RTE, gestionnaire des lignes à haute tension, en 2012. Puis très vite, l’échéance est repoussée à 2014. En 2011, l’électricien doit se rendre à l’évidence : la mise en service ne pourra pas intervenir avant 2016.

L'EPR ne rentrera en fonctionnement qu'en 2017.

Depuis, les nouvelles difficultés sur le chantier, et aujourd’hui des problèmes sur des équipements lourds, comme le couvercle et des éléments de la cuve d’acier dans laquelle se produit la fission nucléaire, ont entraîné, selon EDF, « un décalage dans le planning du chantier » avec un démarrage de l’installation en 2017. Il est cette fois imputable à Areva, et non à Bouygues et à ses sous-traitants assurant le génie civil.

  • Un coût multiplié par trois

En 2005, le prix de Flamanville 3 était estimé à 3,3 milliards d’euros, comme celui d’Olkiluoto. Dès 2008, un an après le début de la construction, la facture grimpe à plus de 4 milliards, EDF rappelant qu’il faut tenir compte de l’évolution des prix du béton et de l’acier. Les coûts passent de 4 à 6,5 milliards entre 2009 et décembre 2012, le groupe annonce que la facture s’alourdira encore de 2 milliards pour atteindre 8,5 milliards d’euros.

S’arrêtera-t-on là ? Rien n’est moins sûr, puisqu’« un an de retard peut représenter 700 à 800 millions d’euros de plus », selon un expert du nucléaire, notamment en raison des coûts de la main-d’œuvre. Aux périodes les plus actives, plus de 3 600 ouvriers, techniciens et ingénieurs se croisent sur le site normand, un des plus grands chantiers d’Europe.La Cour des comptes en 2012, puis la commission d’enquête parlementaire sur le coût de la filière nucléaire,  présidée par le député François Brottes (PS, Isère) en 2014, ont souligné « un certain nombre d’incertitudes » dans l’industrie de l’atome et ont exprimé leur « préoccupation » sur l’évolution des coûts de la filière en France.

  • De nombreux défauts de fabrication

Depuis le début de la mise en chantier de l’EPR en décembre 2007, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui contrôle le site deux fois par mois, a relevé des centaines de failles dans la construction, consignées dans des compte rendus d’inspection. Dernière en date : des fissures réparties sur trois zones de l’enceinte interne du bâtiment réacteur, qui ont pris trois mois pour être réparées,comme l’a indiqué EDF en juin 2014,  confirmant partiellement une information du Canard Enchaîné qui parlait de « trous de 42 centimètres ».

De nombreuses malfaçons dans le bétonnage du bâtiment réacteur ont été dénoncées par l'ASN.

En 2013, le dôme du réacteur a été endommagé par la chute d’un engrenage ; en 2011 et 2012, le gendarme du nucléaire pointait à plusieurs reprises des « malfaçons » et « anomalies » dans les opérations de bétonnage, de ferraillage et de soudage pouvant « porter préjudice à la qualité finale des structures ». Il était question de trous dans le béton et de nids de cailloux (zone manquant de ciment). Le bétonnage du bâtiment réacteur a même été trois fois suspendu, dont la dernière pendant un an en 2012. Le plan présenté depuis par EDF a été jugé « satisfaisant » par l’ASN.

  • Le problème de la sous-traitance

En 2011, l’ASN avait dénoncé « un manque de compétences, de formation à la culture de sûreté des intervenants » et des « lacunes d’EDF dans la surveillance des sous-traitants ». Le chantier emploie 3 650 personnes dont 2 850 salariés d’entreprises sous-traitantes d’EDF. 19 % de ces salariés sous-traitants sont employés par des entreprises étrangères, à plus de 80 % des Portugais (soit environ 600 personnes).

L’EPR de Flamanville a fait l’objet d’enquêtes préliminaires et de procès après la mort accidentelle de deux ouvriers en janvier et en juin 2011, et des infractions – travail dissimulé et sous-déclaration d’accidents du travail – relevées par l’ASN.

En avril dernier, le tribunal correctionnel de Cherbourg a condamné Bouygues Travaux publics, responsable de la coordination de la sécurité du génie civil sur le chantier, à 75 000 euros d’amende, ainsi qu’un grutier à trois mois de prison ferme, pour la mort accidentelle d’un intérimaire de 37 ans, en janvier 2011, qui avait fait une chute mortelle de 15 mètres. La passerelle sur laquelle il se trouvait avait été heurtée par le chargement d’une grue.

Quant au volet du travail dissimulé, le procès des sociétés Bouygues, Atlanco et Elco accusées d’avoir employé illégalement 460 ouvriers roumains et polonais sur le chantier du réacteur a été reporté à mars 2015, la société d’intérim Atlanco étant introuvable. La recherche de cette entreprise internationale, qui n’a pas répondu à sa convocation en justice, va désormais passer par le « biais des conventions internationales », c’est-à-dire des ministères français, irlandais et chypriote de la justice – le siège d’Atlanco étant implanté dans l’un de ces deux derniers pays.

 

  •   Audrey Garric
    Journaliste au service Planète du Monde 
  • Jean-Michel Bezat
    Journaliste au Monde

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