Les causes perçues de la radicalisation
en relation avec le précédent article Le butane s’invite sous la marmite sociale
Restructurations, chômage partiel, non-renouvellement des CDD, fermetures de sites… la casse de l’emploi industriel ne connaît pas de trêve estivale. Devant l’ampleur des dégâts annoncés, les conséquences directes pour la vie de milliers de familles, le désespoir pousse comme du chiendent sur les toits des usines abandonnées. La colère ne faiblit pas. Le sentiment d’injustice nourrit un ressentiment jusqu’ici ravalé, comme on ravale ses larmes. Longtemps, on a pensé que la classe ouvrière avait disparu. Volatilisée. Et voilà qu’elle se rappelle au bon souvenir de nos gouvernants. Après avoir accepté la mobilité, les heures supplémentaires, les départs jamais remplacés, la précarité, un énième crédit pour boucler les fins de mois, l’expatriation pour 400 euros en Hongrie, travailler plus pour gagner moins… Voilà qu’elle se rebiffe, et pas qu’à moitié. Apprendre le matin à la radio que votre usine va fermer, et c’est le ciel qui vous tombe sur la tête, votre avenir qui s’écroule, le futur de vos proches qui se conjugue au passé antérieur. C’est là que se situe le sentiment d’injustice, dans cet interstice entre ce qui est acceptable et ne l’est plus. Quand on ne sait plus à quoi se raccrocher, on attrape la première perche tendue. On pense à sauver sa peau. Quitte à se réfugier dans des actes dont la portée, plus que symbolique, vous dépasse. De la séquestration du patron ou de son représentant au « chantage à la bonbonne de gaz », il y a l’idée de se faire entendre ; l’idée de médiatiser son conflit ; l’idée qu’après avoir tant donné, eux aussi auraient droit à un retour sur investissement. La radicalisation des mouvements sociaux est une réponse à l’humiliation éprouvée ; à l’obscénité des patrons et des actionnaires qui empochent sans vergogne des parachutes dorés, des sommes tellement insensées qu’on a du mal à compter les zéros avant la virgule.
Derrière ce désespoir, cette rage, c’est toute une politique de démantèlement violent de l’emploi industriel menée au grand galop qui explose au grand jour. Entre un ministre de l’Industrie qui se prétend « ministre des ouvriers » et affirme qu’il sera « le meilleur pompier possible » (on connaît des pompiers pyromanes) et un ministre du Travail qui lance du bout des lèvres que la prévision du nombre des chômeurs supplémentaires d’ici la fin de l’année, plus 650 000, « sera peut-être pire », aucune perspective de relance industrielle à l’horizon. La faute à la crise, chantent-ils en choeur. Leurs discours ne sont pas à la hauteur des enjeux économiques, encore moins des attentes des travailleurs.
Dans un sondage réalisé par l’IFOP pour l’Humanité , la peur du chômage, le sentiment que la fermeture du site est d’abord motivée par des considérations boursières ou encore celui d’injustice devant l’écart des rémunérations entre salariés et actionnaires forment le trio de tête des causes perçues de la radicalisation du mouvement social. 50 % des sondés comprennent mais n’approuvent pas les menaces de destruction d’entreprises par leurs salariés ; ils sont 63 % à répondre de même sur la séquestration de patrons par leurs salariés. Solidaires de l’exaspération, solidaires de cette colère, même si d’aucuns savent que là n’est pas la solution. Chez les élus de la majorité, on s’inquiète. Pas tant pour les salariés que pour l’effet contagion. Pas tant sur les solutions de fond que pour calmer les tensions. Côté syndicat, on s’efforce de mettre en avant d’autres pistes de réflexion, même si la nature des actions est votée en assemblée générale. Pour la CGT, il s’agit dorénavant de batailler ferme pour « la reconquête industrielle » et « préserver ou conquérir de nombreux emplois dans les entreprises ». Quel sera le visage de la France d’ici quelques années après tant de fermetures, de restructurations et de délocalisations ? Face au gâchis annoncé, les mesures énoncées sont confondantes d’inefficacité. Aux allocataires du RSA, le Pôle emploi du Rhône propose de devenir vendangeurs, le temps d’une saison. Et après ?