Un été brûlant

090805brunolemaire.jpgUn été brûlant

Les forces de l’ordre devront-elles investir les exploitations agricoles pour faire rendre gorge aux producteurs de fruits et légumes ? Déjà étranglés par les prix que leur impose la grande distribution, les voilà désormais sommés de rembourser 500 millions d’euros d’aides publiques perçues entre 1992 et 2002. La Commission de Bruxelles l’exige au nom de son credo et de son dogme. La concurrence libre et non faussée. Le gouvernement français se couche et le ministre de l’Agriculture, Bruno Lemaire, s’engageait dès hier dans ce qui pourrait bien devenir un bras de fer à très hauts risques : « Il est certain que nous devrons engager une procédure de remboursement auprès des producteurs. » Cet été sera-t-il celui de la révolte des campagnes ? Toujours est-il que le représentant des producteurs concernés, François Lafitte, parlait, hier également, d’un été brûlant : « Personne ne remboursera ces subventions. »

L’exigence de Bruxelles est une agression contre les producteurs en même temps qu’une aberration. Les aides en question ont depuis longtemps été investies et ne sont pas cachées dans des coffres ou des bas de laine. Elles ont été motivées par des aléas climatiques, des mauvaises récoltes. Elles ont été employées à réparer des dommages, à racheter du matériel, à mieux produire et aussi à produire autrement. Et il faudrait maintenant engager des procédures de recouvrement ? Saisir des machines agricoles ? Des fermes, pourquoi pas puisqu’on sait que nombre de producteurs sont désormais sur le fil, qu’il suffit parfois d’un orage de grêle pour les acculer à la faillite.

C’est un signal d’alarme pour d’autres professions. Les pêcheurs, qui eux aussi ont reçu des aides, les producteurs de Cognac, qui en ont reçu à la reconversion. Que valent alors les propos des ministres de l’Agriculture et du chef de l’État chaque fois qu’ils assurent aux petits patrons et aux salariés de ces professions en difficulté qu’ils ne les laisseront pas tomber ? Quel crédit accorder à d’autres aides, aux forestiers de la forêt landaise par exemple, aux reconversions industrielles, qui pourraient, elles aussi, au nom de ces principes, être contestées par Bruxelles ?

Michel Barnier aurait bien déposé un recours en avril dernier devant la Commission pour contester le montant réclamé. Le montant ! Mais il s’est bien gardé, en tant que candidat aux élections européennes, d’en dire mot et de mettre en garde les Français, et pas seulement les producteurs de fruits et de légumes, contre les logiques de l’Europe ultralibérale. C’est normal, il y adhère. Et voilà que maintenant le rideau se lève. Dès le 29 juillet, son successeur écrivait à la Commission pour l’assurer de toute sa bonne foi et annoncer la mise en oeuvre au plus vite du recouvrement des sommes dues. C’est plus qu’une capitulation en rase campagne, si l’on ose dire. C’est de la coopération empressée, pour le moins, que le ministre entend justifier : « Nous devons agir en tant qu’Européens. » C’est cela, l’Europe qui protège ? Et une autre question se pose. La France n’ignorait pas, en attribuant ces aides, qu’elles pourraient être un jour réclamées. Qui peut dire que le gouvernement ne le sait pas tout autant pour d’autres, quand il les promet ?

Aux trains de licenciements dans les entreprises, à l’extension du travail du dimanche, à la privatisation de La Poste s’ajoute désormais cet été ce véritable coup de pied de l’âne à tous ces producteurs qui n’ont pour vivre que leur terre et leurs mains. Voilà la réalité de l’Europe et la duplicité du gouvernement. Faut-il aller chercher plus loin la radicalisation des mouvements sociaux dont il feint de s’étonner et de s’inquiéter ?

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