La morale des voyous
Ah les belles âmes ! Faut-il qu’au creux de l’été, en pleines vacances du pouvoir, la morgue bancaire retrouve toute sa vigueur au risque d’un concert de protestations pour que, subitement, l’esprit critique vienne visiter les plus aveugles zélateurs du cancer financier ? En septembre dernier, ils mangeaient leur chapeau, disant n’avoir « rien vu venir ». En octobre, le choeur des ministres et derviches tourneurs de l’info psalmodiant le cours quotidien du CAC 40 reprenait à l’unisson l’antienne élyséenne : « Il faut moraliser le capitalisme. » Et aujourd’hui, non moins soudainement, les mêmes reconnaissent le peu de résultats de ces G20 financiers qu’ils encensaient en avril dernier. Pas plus loin que le week-end dernier, tous nous annonçaient avec le même enthousiasme définitif que la sortie de crise était en vue…
Quant au nouveau scandale des bonus, on mesure encore une fois l’énergie qui anime les dirigeants du pays. C’est par un simple communiqué que le président de la République et le premier ministre prient la ministre de l’Économie de demander au gouverneur de la Banque de France de vérifier si, par hasard, les banques respectent bien les règles des bonus, ces mêmes règles sanctifiées lors du dernier G20. Les banquiers sont même convoqués aujourd’hui à Matignon, où il ne reste que le directeur de cabinet adjoint de François Fillon pour leur tirer l’oreille. Ces messieurs doivent trembler. Paroles et actes sont autrement plus durs et prompts lorsqu’il s’agit, en préambule au démantèlement de la PAC, de réclamer 500 et maintenant 700 millions d’euros à des paysans déjà étranglés par la sacro-sainte concurrence libre et non faussée.
Cela fait maintenant des mois que chacun peut comprendre qu’il ne s’agit pas de « moraliser » le capitalisme mais de le « sauver » du naufrage et, pire, d’une remise en cause radicale qui pourrait se développer dans les esprits. On nous parle de remontée des Bourses, de profits retrouvés des banques, de « reprise américaine » dont il suffirait de rester à la remorque pour que tout aille mieux. Pour la planète finance, s’entend. Alors que tous les indicateurs économiques et sociaux sont bien loin d’indiquer une embellie, plus que jamais l’actualité estivale pose avec force l’urgence d’une profonde et vraie rupture avec tout ce qui est cause de la crise et la nourrit.
La France doit-elle rester un pays de bas salaires où la moitié des salariés touchent moins de 1 350 euros par mois ? La droite au pouvoir entend profiter de l’instauration de la taxe carbone pour, en contrepartie, comme l’a indiqué Christine Lagarde le 29 juillet, baisser la taxe professionnelle. 4,5 milliards payés en plus par les ménages viendraient s’ajouter aux 28 milliards de cadeaux annuels faits aux patrons et qui favorisent l’emploi à bas coût et la déqualification du travail. Outre imposer des contreparties aux banques pour toute aide publique, la Caisse des dépôts, plutôt que de brader son parc social et payer au passage 3 millions d’euros à un Jean-Marie Messier pour « légitimer » la chose, OSEO, qui est censé financer l’innovation et le développement des PME, et la Banque postale ne pourraient-ils pas former un pôle public d’aide à l’investissement productif ? Là encore, c’est la privatisation de cette dernière qui est lancée et le cadeau du Livret A aux mêmes banques privées qui a été choisi. Plutôt que d’attendre le prochain torticolis verbal des adeptes de la génuflexion devant les marchés, nous préférons rester du côté de ceux qui nourrissent ce débat-là, de la Chambre des députés ou du Parlement européen aux sites de Molex à Villemur, de la SBFM à Hennebont ou Rohm and Hass à Semoy (Loiret), qui démontrent la viabilité de solutions industrielles, sources de progrès social. La vraie issue à la crise est de ce côté-là.