Par Annie Jolivet, économiste à l’Ires, chercheuse associée au Creapt.
Au 1er janvier 2010, entre en vigueur la pénalité due par les entreprises et certains établissements publics en cas de non-respect de l’obligation de négocier sur l’emploi des seniors. Quel sens donner à cette obligation ? Quelle efficacité en attendre ? Cette obligation peut sembler décalée, voire inopportune au vu de la conjoncture actuelle. Penser les moyens de maintenir les 55-64 ans dans l’emploi n’a guère de sens lorsque la survie même de l’entreprise est incertaine ou menacée. De plus, les ajustements d’effectifs qui ont pu avoir lieu depuis le début de la crise, à l’automne 2008, ont déjà en partie concerné les salariés plus âgés. Dans plusieurs branches ou certaines entreprises, il existe encore, en 2009, des possibilités de départs anticipés liés à des accords Cats, soit à des accords de branche dérogatoires sur la mise à la retraite, soit enfin à des préretraites d’entreprise.
Cependant, cette obligation de négocier doit être replacée dans son contexte. Elle est une nouvelle étape dans le processus engagé depuis la loi sur la réforme des retraites d’août 2003. Lors des discussions préalables, en particulier au sein du conseil d’orientation des retraites, un consensus avait émergé autour de l’idée d’un maintien des salariés plus âgés jusqu’à la retraite, avant d’envisager un recul de l’âge de la retraite. Il s’agissait alors, d’une part, de contribuer au financement des régimes de retraite ; d’autre part, de favoriser une durée de cotisation suffisante pour une retraite à taux plein. Différentes mesures ont été prises dans ce sens depuis 2003, avec des atermoiements dans le cas du recul de l’âge de la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur. Force est de constater que le maintien dans l’emploi des seniors reste insuffisant. Le taux d’emploi des 55-64 ans reste assez faible en France (38,3 % en 2008), comparé à la moyenne des 27 pays de l’Union européenne (45,6 %). L’Allemagne, par exemple, atteint 53,8 %. La très légère hausse de ce taux depuis 2003 (1,3 point) ne révèle pas de modification des comportements. La pénalité et l’obligation de négocier traduisent donc la volonté de contraindre plus directement et plus fortement les entreprises à agir sur cette question.
Rappelons par ailleurs que les licenciements ou départs de salariés âgés ne se traduisent pas par un rajeunissement des effectifs de l’entreprise. Les salariés qui restent continuent à avancer en âge et les enjeux de prévention de l’usure professionnelle, de formation continue, de transfert des compétences restent posés. La menace d’une pénalité pousse effectivement les employeurs à la négociation. Beaucoup le font dans l’urgence. Certaines branches ont pris le relais et ont négocié ou négocient un accord qui permet de couvrir les entreprises employant de 50 à moins de 300 salariés.
La négociation dans l’urgence n’offre évidemment pas les meilleures conditions pour aboutir à un accord mettant en place de réelles actions. L’obligation de négocier n’est, en effet, qu’une obligation de moyens. Les entreprises doivent fixer des objectifs chiffrés et définir des actions sur au moins trois des six thèmes cités par le décret de mai 2009. Aucune sanction n’est prévue si ces objectifs chiffrés ne sont pas atteints. Les services de l’État n’ont que trois mois pour valider un accord : c’est court pour l’analyser, compte tenu du nombre d’accords signés fin 2009. Or, l’absence de réponse vaut accord. L’appréciation risque donc de se limiter à des exigences de procédure et de ne pas porter sur le contenu. Il est alors probable que de nombreux accords seront purement formels.
Cependant, l’obligation de négociation peut permettre d’engager un processus de réflexion et d’action, si la négociation s’appuie sur un diagnostic fin, sur un bilan des actions ou des pratiques dans l’entreprise, et si ce processus s’inscrit dans la durée.