C’était le 17 octobre 1961… par Eva Joly

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Le 17 octobre 1961 a longtemps été occulté, notamment par la confusion
avec l’affaire dite du métro Charonne qui eut lieu le 8 février 1962. Cette
journée vit la mort causée par les décisions du pouvoir en place pour réprimer
cette manifestation réclamant l’indépendance de l’Algérie, de plusieurs
centaines d’Algériens.

Un demi-siècle plus tard, on commence à se souvenir. Outre le film de
Yasmina Adi sobrement intitulé "17 octobre 1961, Eva Joly, la candidate
d’Europe Ecologie Les Verts se souvient de ce triste événement qui marqua dans
le sang les débuts de la Vème République.

Le 17 octobre 1961, la République a été salie par un crime d’État, par Eva
Joly.

Ce jour là, un massacre organisé en pleine rue de la capitale a été
perpétré, piloté par le ministre de l’Intérieur Roger Frey, le Préfet de
police, Maurice Papon, et couvert par Michel Debré, Premier ministre, et le
président de la République, Charles de Gaulle.

Les faits sont connus : le couvre-feu imposé en France exclusivement
aux Français musulmans a été décrété le 5 octobre. Il l’a été au moment même où
les négociations entre la France et le GPRA – le gouvernement provisoire
algérien – reprenaient après avoir été interrompues suite à la demande de la
France, refusée par le FLN, d’amputer l’Algérie indépendante du Sahara et de
ses richesses pétrolières.

Pour avoir manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre-feu
discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, Préfet de police
de Paris, des centaines d’Algériens perdirent la vie, tirés à vue, noyés,
victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police.

Dans les jours qui suivirent, des milliers de manifestants furent arrêtés,
emprisonnés, torturés ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie.

50 ans après, on ne connaît pas le nombre exact des victimes. 50 ans après,
la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce crime d’État. 50
ans après, si Maurice Papon a été jugé et condamné pour avoir organisé la
déportation d’enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale, aucun membre de
l’administration n’a été poursuivi pour ce crime qui a tué en une nuit plus
d’êtres humains que la tuerie de la Place Tien An Men en 1989.

Le sang répandu dans la Seine fait honte à la France. On ne construit pas la
République sur des mensonges, des falsifications et des occultations. Le 17
octobre 1961 fait partie à jamais de notre mémoire collective. Les peuples
algérien et français ont besoin de la connaître la vérité. La génération des
anciens appelés de la guerre d’Algérie, les enfants des pieds noirs et des
harkis ont besoin de la connaître. La jeunesse des quartiers populaires a
besoin de connaître ce qu’ont subi leurs grands-parents pour mieux comprendre
le poids des séquelles de l’Histoire.

Les victimes oubliées du 17 octobre 1961 travaillaient, habitaient et
vivaient en France. Elles ont été tuées en France par des policiers
français.

Reconnaître les crimes du 17 octobre 1961, c’est aussi contribuer à
l’apaisement des plaies ouvertes par l’accumulation des discriminations, des
contrôles d’identité transformés en chasse au faciès Si nous ne faisons pas
toute la lumière sur les guerres coloniales et leur héritage, nous ajouterons
aux injustices sociales le poids des discriminations mémorielles.

Aujourd’hui, plus de 60 villes ont des monuments, des stèles, des plaques de
rue à la gloire des anciens de l’OAS. La mémoire de la guerre d’Algérie devient
un enjeu politique. Les nostalgiques de l’Algérie française et de l’OAS
célèbrent les "bienfaits de la colonisation", commémorent le putsch des
généraux à Alger contre la République, organisent une Fondation pour la mémoire
de la Guerre d’Algérie.

Je refuse pour ma part que nous soyons entraînés dans une guerre des
mémoires qui encourage le racisme dont sont victimes aujourd’hui nombre de
citoyens ou de ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y
compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois
meurtrières.

En 2012, l’Algérie fêtera les cinquante ans d’une indépendance. Nous devons
construire de nouveaux rapports entre la France et l’Algérie, entre le Maghreb
et l’Europe. Pour cela, commençons par reconnaître officiellement les massacres
commis par la police parisienne le 17 octobre 1961 et les jours suivants comme
un crime d’État. Organisons la liberté d’accès aux archives effective pour
tous, historiens et citoyens, afin que les historiens des deux rives de la
Méditerranée coopèrent à la construction d’une mémoire apaisée.

La République a reconnu sa responsabilité dans la chasse aux juifs sous
Vichy ; elle l’a reconnue dans l’esclavage. Elle doit reconnaître aux
victimes du 17 octobre et à leurs enfants et petits-enfants qu’elle a failli.
Elle en ressortira grandie.

Eva Joly

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