CDXLI.

Ces visites trimestrielles à la clinique Saint-Hilaire m’obligent à l’arpentage régulier de la rue du même nom. Aller et retour. Pas gai, le moins que l’on puisse dire. Passe encore la Croix de Pierre, mais avant et après, on s’y ennuie. Revenant de consultation, quelle que soit l’heure, je m’offre une pâtisserie chez le boulanger qui fait l’angle avec la rue des Capucins.

Celui d’en face (angle avec la rue Édouard-Adam) semble avoir les faveurs des lycéens d’alentour. Vrai que les gâteaux n’y coûtent qu’un euro. Par les temps qui courent, on aurait mauvaise grâce à leur en vouloir (aux lycéens). Pour en avoir choisi quelques-uns (de gâteaux) je dois reconnaître qu’ils ne dépassent pas leur qualité d’un euro. Mais l’essentiel est là : ça débite.

Autre particularité, on croise chez ces deux boulangers les représentants de la police nationale et municipale. Sandwichs, boissons, pains et pâtisseries diverses, les forces de l’ordre s’y ravitaillent. Pour eux seuls ou pour les autres. Les collègues attendent dans le panier à salade (ça ne se dit plus) ou les voitures sérigraphiées (ça se dit ou plutôt, ça s’écrit). Sans conteste, un policier payant sa formule jambon-emmenthal, flan parisien (comme boisson, je mets quoi ?) a tout pour rassurer. A la fois, l’homme et le citoyen. Au fond, il nous faut peu de choses.

Comme ces rues ont changé ! Je les ai fréquenté dans les années Cinquante, Soixante, Quatre-vingt et aujourd’hui. A chaque fois, un décor. Dire que je suis allé autrefois à La Renaissance, cinéma disparu. Puis commander de merveilleux Pithiviers (gâteau aussi disparu) chez un pâtissier du milieu de la rue, pas très loin (on s’en doute, fini). Quoi encore de disparu ? Le café dit Au retour du 112, celui dit Chez Dédé le Rouquin, les Caves du Zaccar (marchand de vin), etc.

Du temps où Jérôme était lycéen à Jeanne d’Arc, il passait ses heures au bout de la rue, dans un bistrot impossible nommé le Snoopy-Bar. Étant à l’époque sous ma garde, je suis allé y rattraper notre fameux et trop désœuvré neveu. Le proviseur voulait me voir jouer l’oncle vigilant. Derrière le bar s’activait un Antillais ou Afro-quelque chose. Ce tenancier passait pour l’homme le plus sympathique du monde. Surtout aux yeux des adolescents.

Le quartier est désormais fortement garni de kebabs et fast-foods. Tous rivalisent dans l’esthétique la plus foraine. Le soir venu, animation, lumières, va et vient, c’est très plaisant. Là, on aimerait avoir soixante ans de moins et un estomac en béton. Ma consolation est que je dîne parfois au Saint-Hilaire, restaurant où les gens sont charmants. Et la nourriture, sans chichi, pas trop moderniste. Reste que ça ne rajeunit pas. Comme de trouver les flics sympathiques.

Il y a quelques jours, un vagabond est mort au bas de la rue des Capucins. De froid ou d’autre chose. De pauvreté, d’alcoolisme, de solitude. Constatons que cette mort a eu lieu à équidistance d’une bibliothèque, d’un conservatoire de musique, d’une crèche et d’une ribambelle de kebabs. Faut-il conclure ? Pour lui, c’est fait.

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