CDLXVIII.

Beaucoup de vies fixes ou mouvantes se rapportent à la rue Cauchoise. Comme Beauvoisine, elle constituait autrefois l’axe pour s’évader. Vers les hauteurs, les campagnes. L’ailleurs qui n’était pas Paris. Bref, nous voici dans des rues historiques et littéraires. Flaubert pour la seconde, Maupassant (à vérifier) pour la seconde. Historiques et littéraires, à Rouen elles le sont toutes. Elles marquent leurs privilèges. A défaut, on invente.

Personne n’imaginera qu’on pouvait passer son existence rue Cauchoise. Avait-on faim, soif, besoin de s’amuser ou d’être consolé, qu’il suffisait de descendre. Trois étages et c’était autant de charcuterie, boucherie, poissonnerie, épicerie en tous genres. Sans oublier les inévitables La Ruche ou Économiques de Normandie dit aussi les Coop. Cette institution a marqué le futur des actuelles générations. N’oublie-pas les timbres ! Ou plutôt, en bon rouennais, Oublie-pas les timbres ! Comme d’habitude, je vous parle de 1954.

Il y avait même une laiterie, dite B.O.F (beurre, œufs, fromage). Dans ce lieu humide et odorant, une forte matrone faisait respecter son statut. Des drogueries, un ou plusieurs cordonniers, une papeterie, un marchand de livres. Ce dernier n’aurait jamais voulu être libraire vu qu’il vendait des journaux. Quoi encore ? Cafés, bars, bistrots, en veux-tu en voilà. Dont, près de la rue de Fontenelle, un, minuscule, tenu par une Madame Pip. Un comptoir comme on en verra plus. Pip, quel nom ! Dans mon souvenir, elle ressemblait au mime Marceau (à cause de Bip ?) et était d’origine russe. A tout prendre, elle était plutôt de la Sarthe, avec un accent appuyé sur les lillettes.

Qui se souvient du Garage cauchoise, du Trousseau cauchois, du Sabot cauchois ? Ce dernier devint, des décennies plus tard, Pains, amours et fantaisies. De la galoche au salon de thé chic et choc (admettons). Toujours est-il que ses muffins ne valaient pas ceux du pâtissier Lafosse (en haut de la rue) qui, off course, n’en fabriquait pas. En revanche (façon de dire) ses Pithiviers n’avaient pas besoin de Vittorio De Sica pour vous forcer à l’admiration.

Et la grande droguerie du milieu de la rue ! Là, près du boulanger faisant angle avec la rue des Béguines, boutique où l’on descendait trois marches. Et les chausseurs, tailleurs, coiffeurs… bazars et quincailleries… la vie même, son mouvement et ses ardeurs. Tout ça disparu, perdu à jamais. Sans retour.

Oui, qui se souvient de L’Electric, de la Gerbe d’or, de Nord Tissus, de Bomelux, de Pierre habille chic et de Meg Chaussures ? Dire qu’il y a des gens qui écrivent des romans ! D’autres qui les lisent ! La rue Cauchoise valait nombre de bibliothèques. Constatons que son présent invite à d’autres spéculations. Attendons soixante ans ; elles auront alors l’épaisseur des souvenirs. Charme et nostalgie.

On m’affirme qu’il existe, au début en remontant, un bouquiniste. Possible. Inévitable, dirais-je. Les rues littéraires finissent toujours par recueillir les livres usagés. Devenus rares parce que seuls. Ce sont des animaux abandonnés. Au refuge, dans l’attente. Comme jadis en page trois de LibertéDimanche : Je m’appelle Dick et je cherche un maître.

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