Plus de séismes aux Etats-Unis, la faute aux gaz de schiste

|  Par Michel de Pracontal

Aux États-Unis, le boom des gaz et pétroles de schiste est associé à une spectaculaire augmentation de la fréquence des tremblements de terre dans des régions historiquement calmes.

 

Au moment où François Hollande réaffirme que la France n’exploitera pas les gaz de schiste, les États-Unis se préoccupent de leurs effets sur l’environnement. Plusieurs rapports scientifiques publiés récemment outre-Atlantique mettent en évidence une augmentation spectaculaire de la sismicité dans des régions historiquement calmes des États-Unis, liée à l’exploitation massive des hydrocarbures non conventionnels qui, en moins d’une décennie, ont changé la donne énergétique nord-américaine. Cette exploitation a été permise par la combinaison de deux techniques, la fracturation hydraulique (interdite en France par une loi de 2011) et les forages horizontaux.

« Le nombre de tremblements de terre a augmenté dramatiquement au cours des dernières années dans le centre et l’est des États-Unis, écrit William Ellsworth, de l’United States geological survey (USGS), organisme de recherche en géologie, dans un article publié dans la revue Science du 12 juillet. Plus de 300 séismes de magnitude 3 ou plus se sont produits en trois ans, entre début 2010 et fin 2012, alors que la moyenne était de 21 événements par an entre 1967 et 2000. »

Puits de gaz de schiste en Pennsylvanie

Puits de gaz de schiste en Pennsylvanie© Ruhrfisch

 

Selon les scientifiques, le principal responsable de cette sismicité nouvelle est l’évacuation en profondeur des eaux usées produites par la fracturation hydraulique. Ellsworth mentionne quatre séismes survenus en 2011 qui ont été induits par l’injection d’eaux usées dans des puits profonds : l’un à Youngstown dans l’Ohio, de magnitude 4 ; le deuxième en Arkansas (4,7) ; le troisième près de Snyder au Texas (4,4) et le quatrième aux environs de Fashing, également au Texas, et de magnitude 4,8.

« La moitié au moins des tremblements de terre de magnitude 4,5 ou plus qui ont frappé l’intérieur des États-Unis au cours de la dernière décennie » pourraient avoir été induits par l’injection profonde d’eaux usées, d’après un autre article publié aussi par Science. Le plus important de ces séismes associés à l’activité industrielle est survenu en 2011 près de la ville de Prague, en Oklahoma. D’une magnitude égale à 5,7, il a été ressenti à 1 000 kilomètres de distance, a fait deux blessés, abîmé une route et détruit quatorze maisons.

La géophysicienne Katie Keranen (université d’Oklahoma) a publié une étude détaillée sur le tremblement de terre de Prague. Il s’est déclenché à proximité de deux puits d’injection d’eaux usées, liés à l’exploitation pétrolière, dans une région historiquement calme du point de vue sismique. Il faut aussi souligner que le champ pétrolier se trouve sur une faille sismique connue. Une première secousse de magnitude 4,1 s’est produite début 2010, suivie de répliques jusqu’à la mi-2011, d’un séisme de magnitude 5 survenu le 5 novembre, et enfin du tremblement de terre principal le 6 novembre.

Le déroulement de cette séquence, qui a débuté à 1,5 kilomètre à peine des puits, suggère fortement qu’il s’agit d’un séisme causé par l’injection des eaux usés. Certains scientifiques émettent cependant des réserves, car les deux puits d’injection étaient en service depuis dix-sept ans, sans qu’aucun événement sismique notable se soit produit auparavant.

Mais quoi qu’il en soit du cas particulier de Prague, le tableau d’ensemble ne laisse pas place au doute : la sismicité a augmenté aux États-Unis, dans des régions historiquement peu agitées, en liaison avec l’injection d’eaux usées dans des puits profonds. Soulignons que le problème n’est pas nouveau. On sait depuis des décennies que l’activité pétrolière et gazière provoque des tremblements de terre. Avant 2011, le plus important séisme imputé à l’injection d’eaux usées était un événement de magnitude 4,8 survenu en 1967 près de Denver, dans le Colorado.

Les eaux injectées en profondeur sont un sous-produit de la fracturation hydraulique. La technique consiste à injecter dans le sol un fluide sous pression pour créer un réseau de fractures autour du forage. Ces fractures augmentent la perméabilité des roches et facilitent la récupération des hydrocarbures. Le processus suscite une remontée d’eaux usées et polluantes qu’il faut ensuite traiter ou évacuer. D’où l’injection en profondeur.

Précisons que la fracturation hydraulique n’est pas réservée aux seuls gaz de schiste, pour lesquels elle n’a été utilisé que dans la période récente. Mais la technique est largement antérieure au boom des gaz de schiste outre-Atlantique. Pendant plus d’un demi-siècle, elle a surtout servi à améliorer le rendement des gisements âgés de pétrole ou de gaz.

La fracturation hydraulique produit des micro-séismes, en général de magnitude inférieure à 1, trop faibles pour être ressentis. Dans un petit nombre de cas récents, on a observé des secousses plus importantes, mais pas assez pour causer des dégâts. En Pennsylvanie, où l’on a effectué des milliers de fracturations hydrauliques depuis 2005, seuls six séismes de magnitude supérieure ou égale à 2 ont été détectés.

Au Canada, dans la province de Colombie-Britannique, une séquence inhabituelle de 21 tremblements de terre de magnitude 3 ou plus a débuté en 2009 dans le bassin de la rivière Horn. Une enquête a conclu que ces séismes étaient dus à l’injection de fluides pendant la fracturation hydraulique à proximité de failles pré-existantes.

Au Royaume-Uni, une série de petits séismes (la magnitude maximum était 2,3) a été enregistrée en avril et mai 2012, pendant des opérations de fracturation destinées à exploiter un réservoir de gaz de schiste. L’événement a entraîné la suspension de la fracturation hydraulique au Royaume-Uni.

En dehors de ces exemples, la fracturation hydraulique n’est pas directement responsable d’une sismicité notable. Les tremblements de terre sont surtout causés par l’injection de fluides en profondeur. Cette dernière est une technique déjà ancienne, dont les risques ont été détectés depuis des décennies et qui n’est pas forcément utilisée en liaison avec la fracturation hydraulique.

Les séismes induits par l’industrie sont connus depuis un demi-siècle

Au début des années 1960, un puits profond a été creusé sur le site de l’usine militaire de Rocky Mountain Arsenal, près de Denver, dans le Colorado. L’usine produisait des armes chimiques et le puits était destiné à évacuer des produits toxiques. L’injection de ces fluides polluants a débuté en mars 1962. Peu après, on a commencé à enregistrer des tremblements de terre dans la région. Entre 1962 et 1966, date à laquelle l’injection a cessé, on a rapporté treize secousses de magnitude 4 ou plus. Et en août 1967 s’est produit le tremblement de terre de magnitude 4,8 mentionné plus haut.

L'usine de Rocky Mountain Arsenal (sud) vers 1970L’usine de Rocky Mountain Arsenal (sud) vers 1970© DR

La séquence a fait l’objet d’une étude publiée en 1968, qui reliait les séismes à l’injection en profondeur. En 1969, l’USGS, cité plus haut, a réalisé une expérience grandeur nature sur le champ pétrolier de Rangely, au Colorado. Depuis 1957, la firme Chevron, qui exploitait Rangely, injectait de l’eau sous haute pression dans le réservoir pour améliorer la production de pétrole. Chevron a autorisé l’USGS à moduler la pression du fluide dans une partie du champ pétrolier connue pour être sismiquement active. L’USGS a pu démontrer que, dans les zones sismiques, le risque de tremblement de terre était lié à la pression de fluide en profondeur.

À partir de cette démonstration, on peut expliquer le mécanisme par lequel l’injection profonde de fluide induit des séismes. L’élément crucial est la pression de fluide dans la couche rocheuse profonde. Schématiquement, lorsque le puits est situé près d’une faille, l’injection peut, en augmentant la pression de fluide, libérer brutalement des contraintes tectoniques accumulées sur une longue période. Ce qui se traduit par une secousse sismique plus ou moins violente. Celle-ci ne se produit cependant que si la pression dépasse un certain seuil. Les géophysiciens supposent donc que dans certains cas, une faille peut évoluer pendant des années vers un état critique sans qu’il se produise de rupture, du fait que la pression n’a pas encore atteint le seuil dangereux. Mais si la pression continue d’augmenter, elle finira tôt ou tard par devenir assez forte pour que le verrou saute, déclenchant des événements sismiques.

Un tel mécanisme permettrait d’expliquer des exemples comme celui du séisme de Prague (Oklahoma), dans lesquels la réponse sismique ne se produit que des années après le début des opérations d’injection : si la pression initiale dans la zone d’injection était assez basse, il est possible qu’un long délai ait été nécessaire pour conduire la faille à son état critique.

Il faut ajouter que ce mécanisme peut se produire même si le puits n’est pas situé à proximité d’une faille : si l’augmentation de pression au niveau du puits se propage dans le socle rocheux jusqu’à une faille même assez éloignée, des séismes pourront être induits. Néanmoins, au total, seule une petite minorité des quelque 30 000 puits d’évacuation d’eau utilisés sont liés à un risque sismique. Dans la grande majorité des cas, la perturbation de pression reste confinée à une formation géologique où elle ne provoque pas de tremblement de terre.

Cela n’empêche pas que le problème soit de plus en plus préoccupant. Car si les séismes induits par l’activité humaine sont connus depuis un demi-siècle, ils se sont multipliés aux États-Unis pendant ces dernières années. Et cette évolution est la conséquence directe de l’exploitation massive des pétroles et gaz de schiste.

Comme on l’a vu plus haut, la fracturation hydraulique servait au départ à améliorer le rendement des gisements de gaz ou de pétrole conventionnels. Depuis la fin des années 1990, la fracturation hydraulique a été associée à la technique du forage horizontal, ce qui a permis d’exploiter des gisements non conventionnels de gaz et de pétrole dans les formations de schiste. Les États-Unis ont pris ce virage à grande échelle et font la course en tête : en 2000, les gaz de schiste représentaient 2 % de la production intérieure de gaz naturel du pays. La proportion est aujourd’hui de 23 %. La plus grande formation de schiste du pays, celle de Marcellus, se trouve à cheval sur quatre États : Pennsylvanie, Virginie-Occidentale, Ohio et New York. Elle fournit 10 % du total des gaz de schiste.

Pour cette seule formation de Marcellus, la quantité d’eaux usées issue de la fracturation hydraulique a été multipliée par six entre 2004 et 2011. Comme la géologie de la Pennsylvanie ne se prête pas à l’injection en profondeur, une grande quantité d’eau est transportée par camion en Ohio. En 2011, 400 000 mètres cubes ont ainsi été véhiculés sur les puits de Youngstown en camion. Comme on l’a vu précédemment, c’est aussi à Youngstown que l’on a enregistré l’un des principaux séismes associés à l’injection d’eau (en fait, une douzaine de secousses se sont produites dans la zone entre mars et décembre 2011).

La production de gaz et pétrole de schiste est aujourd’hui presque entièrement concentrée en Amérique du Nord. Par conséquent, l’augmentation de la sismicité décrite par les géophysiciens américains n’a pas été constatée ailleurs qu’aux États-Unis. Mais les mêmes mécanismes pourraient se produire en Europe ou en Asie. On connaît d’ailleurs des exemples de séismes induits par des injections de fluide en profondeur dans d’autres régions du monde. Par exemple, en France, l’exploitation du site de géothermie profonde de Soultz-sous-Forêts, en Alsace, a nécessité des injections massive d’eau en profondeur, effectuées entre 2000 et 2005, qui ont provoqué des centaines de petites secousses. À Bâle, en Suisse, l’injection d’eau à haute pression pour développer un système géothermique a causé quatre séismes de magnitude 3 en 2006 et 2007, ce qui a entraîné l’abandon du projet.

Quelles conséquences peut avoir l’augmentation du risque sismique sur le développement des gaz de schiste ? Jusqu’ici, le seul séisme associé à l’injection profonde qui ait provoqué des dégâts (limités) aux États-Unis a été celui de Prague, en Oklahoma. Il est improbable qu’un tel séisme produise des dommages importants en Amérique du Nord ou en Europe du Nord. Mais il n’en va pas de même dans d’autres pays où les constructions sont moins résistantes. Le séisme de Prague était de la même magnitude qu’un tremblement de terre survenu au Salvador en 1986 qui a fait 1 500 morts.

La Grande-Bretagne a suspendu la fracturation hydraulique après un événement beaucoup moins important, et la France l’a interdite en invoquant principalement le risque de pollution des eaux du sous-sol et non le risque sismique. La Pologne, elle, a décidé de se lancer dans les gaz de schiste, mais en est encore au stade de la prospection.

L’appréciation des risques dépend bien sûr d’enjeux économiques. En France, où les réserves sont importantes, les gaz de schiste pourraient être un concurrent gênant pour le nucléaire. Aux États-Unis, où les hydrocarbures non conventionnels sont en train de chambouler le marché de l’énergie, il semble exclu de les abandonner. La démarche prônée par les experts américains consiste à réduire le risque. Dans l’article déjà cité, William Ellsworth suggère d’utiliser un système de « feux rouges » consistant à « établir des seuils de sismicité au-delà desquels il faut réduire le rythme ou la pression d’injection ou, si l’activité sismique augmente, suspendre l’injection ».

À Youngstown, dans l’Ohio, on a décidé d’interrompre les injections après le tremblement de terre de magnitude 4 survenu en 2011, ce qui a entraîné une baisse de la sismicité près du puits en un délai d’un mois. Une réduction effective du risque nécessite d’améliorer la surveillance des tremblements de terre. Selon Ellsworth, « dans la plupart des zones où les activités d’injection d’eaux usées ont augmenté, les capacités de surveillance sismique ne sont pas suffisantes pour détecter les petits tremblements de terre qui peuvent présager des événements plus importants ».

 

 

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