Le Pen, Poutine, la nouvelle internationale….

Les Le Pen – Jean-Marie, puis Marine et Marion – ont toujours cultivé contacts et amitiés en Russie. Le FN est la tête de pont du régime de Poutine en France. Avec quelles contreparties ?

C'était le 12 juin dernier, dans un salon du "bunker", l'ambassade de Russie à Paris. Zakouskis et vodka glacée pour célébrer la fête nationale, l'ambiance est chaleureuse, et la salle, bondée. Malgré l'annexion récente de la Crimée, le gratin diplomatique est là, des artistes et des hommes d'affaires français aussi. Soudain, une porte s'ouvre, une rumeur enfle. Marine Le Pen et sa nièce Marion, la jeune députée FN, s'avancent, en majesté. Le truculent ambassadeur Orlov les accueille d'un sourire complice. Ces derniers temps, ils se sont souvent rencontrés en privé, mais c'est la première fois que les Le Pen et l'émissaire de Poutine en France s'affichent ensemble.

C'est une alliance politique majeure qui s'est nouée dans la discrétion. Elle peut changer la face du Vieux Continent. Depuis plusieurs mois, le Kremlin mise sur le Front national. Il le juge capable de prendre le pouvoir en France et de renverser le cours de l'histoire européenne en faveur de Moscou. Loin des regards, les dirigeants russes multiplient les rencontres avec les leaders du parti d'extrême droite, eux-mêmes ravis d'être enfin courtisés par une grande puissance. C'est vrai, je vais souvent à l'ambassade de Russie, reconnaît Marion Maréchal-Le Pen. Ma tante m'y encourage." La présidente du FN est une inconditionnelle de Poutine. Dans la presse russe, elle revendique sa "loyauté" envers l'ex-colonel du KGB, son grand frère de l'Est, qu'elle "admire". A tel point qu'elle souhaite que "la France quitte l'Otan et s'allie militairement à Moscou". Elle y est allée à deux reprises ces derniers mois. Son père, Jean-Marie, s'y rendra, lui, fin octobre. Mais, attention, lâche Marion, comme pour masquer sa gêne, "nous ne sommes pas des agents de Moscou".

Le clan Poutine bichonne Jean-Marie Le Pen, mais prend garde à ne pas trop s'afficher avec lui. Le fréquenter ouvertement risquerait de déplaire aux présidents français, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy qui nouent, alors, des accords stratégiques avec le pouvoir russe. Même attitude au début avec Marine Le Pen, après qu'elle a remplacé son père à la tête du Front national, début 2011.

L'idée d'un rapprochement officiel avec la nouvelle chef du FN s'impose vite comme une évidence à Moscou. Tout y contribue. Une idéologie commune, d'abord. Depuis son retour au Kremlin en mai 2012, Vladimir Poutine se veut le rempart de "l'Europe chrétienne" contre la "décadence occidentale" et l'"hégémonisme américain" – des thèmes chers à l'extrême droite française.

A peine installé à l'Elysée, François Hollande critique violemment la position du Kremlin sur la Syrie, les visites ministérielles se font plus rares, le dialogue franco-russe se tarit. Le Kremlin a donc besoin de nouveaux relais à Paris. L'ambassadeur Alexandre Orlov et son conseiller chargé des partis politiques français,

Leonid Kadyshev, proposent d'oser Marine Le Pen et son mouvement. Le Kremlin leur dit banco ! A l'été 2012, ils aident au lancement sur internet d'une chaîne de télévision imaginée par d'anciens cadres du Front national : ProRussia.tv, ouvertement prorusse, comme son nom l'indique. Le directeur de la chaîne, Gilles Arnaud, un proche de Bruno Gollnisch, longtemps permanent du FN, raconte : Par l'entremise de l'ambassadeur Orlov, nous avons signé un contrat avec des médias d'Etat, dont Itar-Tass. Ils nous ont donné 115.000 euros pour la première année, 300.000 la suivante. Il précise que ProRussia a été fermée en avril, après que les autorités russes ont décidé de lancer elles-mêmes l'an prochain une chaîne francophone, dotée d'un budget de 20 millions d'euros.

Orlov et Kadyshev reçoivent régulièrement – et discrètement – les dirigeants du FN à l'ambassade ou à la résidence du diplomate. Les Le Pen comprennent le message et multiplient, eux aussi, les offensives de charme. En décembre 2012, Marion Maréchal-Le Pen, qui s'est inscrite au groupe d'amitié franco-russe à l'Assemblée, va à Moscou pour son premier (et seul) voyage hors de l'Union européenne. Elle est conviée à une rencontre interparlementaire par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien du KGB, intime de Poutine. Elle est l'unique députée française présente. Au déjeuner, comme Marion fête ses 23 ans ce jour-là, Narychkine demande à ses convives (dont ce bon vieux "Jirik") d'entonner un bruyant "Joyeux anniversaire".

A son retour, la benjamine de l'Assemblée accorde une longue interview à ses amis de ProRussia.tv, dans laquelle elle déclare : La Russie a jeté son dévolu sur le FN. En tout cas, je l'espère…"Tout est donc prêt pour une visite officielle de sa tante, Marine, en Russie – la première. Elle a lieu en juin 2013 et débute par un mystérieux colloque intitulé "Morale et démocratie" qui se déroule en… Crimée."Un hasard", assure la présidente du Front national, qui soutiendra l'annexion de la presqu'île quelques mois plus tard. Marine Le Pen se fend aussi d'un éloge passionné pour le régime de Poutine, à la prestigieuse université Mgimo, repère des futurs diplomates et espions. Elle rend hommage à son "cher Ilya Glazounov" et assure le pouvoir russe de sa "loyauté".

Cette "loyauté", elle la prouve neuf mois plus tard, lors de l'annexion de la Crimée. Le 16 mars 2014, les séparatistes organisent un référendum à la va-vite. Moscou a besoin d'"observateurs" indulgents. L'extrême droite européenne, et notamment le Front national, est sollicitée pour "certifier" le scrutin Marine Le Pen, elle aussi, fait du zèle. Le rapprochement s'accélère. Moins d'un mois après l'annexion de la Crimée, elle retourne dans la capitale russe, le 12 avril 2014. Une visite de soutien – certains diraient d'allégeance. Elle ne rencontre toujours pas Poutine, mais son ami Narychkine et le patron de la commission des Affaires étrangères de la Douma, qui, sanctions obligent, n'ont plus le droit de se rendre en Europe.

Cinq jours plus tard, elle est récompensée : à la télévision russe, le président Poutine se félicite du "succès de Marine Le Pen" aux élections municipales en France. Et, en juin, le parti du Kremlin, Russie unie, annonce qu'il va s'associer officiellement au Front national (tout en conservant ses liens avec l'UMP). Existe-t-il d'autres contreparties à cette "loyauté" affichée de Marine Le Pen ?

Interrogée sur un éventuel financement de son parti par Moscou, la présidente du FN esquive : Je ne comprends pas votre question, ce serait interdit. "Puis elle évoque une possibilité, indirecte. Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n'a accepté, explique-t-elle. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l'étranger, aux Etats-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. Nous attendons des réponses." Quelle banque russe ? "Je ne sais pas, c'est le trésorier du parti qui s'occupe de cela." Celui-ci n'en dira pas plus. Jean-Marie Le Pen retournera à Moscou fin octobre. "J'assisterai à un match de boxe", explique-il. Qui l'invite ? "Des amis russes." Lesquels ? Il ne veut pas répondre…

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