C’était le temps des promesses.

Un temps où les marchés financiers, jugés avoir pris les commandes du système économique, allaient être mis à contribution. Une taxe Tobin, revue et corrigée façon Europe, devait bientôt mettre un grain de sable dans les rouages d’une partie de la finance européenne.

C’était donc en janvier 2013. Sous l’impulsion de la Commission européenne, la France et dix autres pays de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie) se disaient prêts, par le biais d’une coopération renforcée, à adopter une taxe sur les transactions financières (TTF).

Mais depuis, l’enthousiasme est retombé. Et cette fois, la taxe européenne risque bel et bien de faire un flop. Réponse ce mardi, lors d’un Conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin) qui se tiendra à Bruxelles et qui devrait se prononcer sur l’éventuelle mise en place pour le début 2016 d’une TTF au sein des onze pays membres de la coopération renforcée.

Mais sauf miracle de dernière minute, rien ne penche en faveur d’un accord tant les divergences sont grandes entre les pays potentiellement concernés. La faute à qui ? «A la France, ou plutôt à ce gouvernement de gauche qui n’aura cessé de tout faire pour minimiser le niveau de cette taxe sur les transactions financières», répondent à l’unisson plusieurs ONG.

En taxant à 0,1% les échanges d’actions et à 0,01% ceux de produits dérivés, la TTF vise à limiter les risques d’«explosion» de nouvelles bombes à retardement financières, comme celles qui ont failli, en 2008, précipiter l’effondrement de l’économie internationale. Mais voilà, depuis les premiers jours, les désaccords s’accentuent, notamment entre Paris et Berlin. Michel Sapin devrait arriver ce mardi à Bruxelles en réitérant la même proposition que celle faite en mai aux dix autres pays, Allemagne en tête. La France souhaiterait en effet reporter la taxation des produits dérivés. Problème, ce sont justement ces produits destinés à assurer leurs acheteurs contre des risques financiers qui ont connu une hausse quasi exponentielle ces dernières années. Ce sont encore eux qui ont été à l’origine des dernières bulles financières. Et logiquement, c’est sur ces dérivés que devait porter la TTF.

Selon les évaluations de Bruxelles, une TTF sur les dérivés devait rapporter environ 21 milliards d’euros, contre 13 milliards pour les actions et les obligations. Or, à plusieurs reprises, Michel Sapin n’a pas caché qu’il était favorable à une taxation sur les seuls CDS, les credit default swaps.«Et pour cause, explique Dominique Plihon, professeur d’économie à Paris-XIII. Ces contrats d’assurance contre le risque de faillite de leurs émetteurs représentent moins de 3% du total des dérivés qui, eux, sont estimés à près de 700 000 milliards de dollars [568 000 milliards d’euros, ndlr] au niveau mondial. Une taxe sur les seuls CDS ne rapporterait pratiquement rien. Nous serions loin de constituer une taxe capable d’alimenter les caisses de plus en plus vides de l’aide internationale.

Et c’est la France qui en est le principal responsable.» A l’inverse de la France, l’Allemagne semble prête à adopter une autre stratégie : celle d’une taxe dont l’assiette serait plus large et avec des taux de taxation encore plus bas. «L’Allemagne tient un double discours, dénonce un diplomate français. L’un pendant les négociations, l’autre pour l’opinion publique.» Pour Oxfam, «la France s’emploie à détricoter la TTF afin de protéger les intérêts du secteur financier français.

Paradoxalement, c’est donc un gouvernement socialiste qui se bat contre une TTF régulatrice et génératrice de revenus, et s’oppose ainsi aux gouvernements conservateurs comme l’Allemagne. Il est vrai que les banques hexagonales BNP Paribas et la Société générale sont les championnes des produits dérivés. Et les quatre plus grandes banques françaises détiennent 20% des encours de dérivés dans le monde.

Forte de cette position, la Fédération bancaire française ne cesse de marteler la même menace : «La TTF est une aberration puisqu’appliquée à seulement onze pays.» Avec, en prime, des menaces de délocalisation… Au cas où. Une Fédération qui va jusqu’à se féliciter dans les Echos que les «pouvoirs publics ont compris qu’il était important de ne pas pénaliser davantage un secteur où la France est en pointe, celui des dérivés…» C’était le 7 novembre 2014.

A des années-lumière du 22 janvier 2012, lorsqu’au Bourget, le candidat Hollande déclarait : «Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance.»

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