CDLXVII.

Quelqu’un qui a vieilli, c’est Anny Duperey (quel mufle !) Laquelle ne s’est jamais nommée Duperey, ni Anny. Lorsque nous étions jeunes (elle plus que moi) on l’appelait Annie Legras. Un père photographe, une tante infirmière, la tragédie qui la laissa orpheline, etc. Inutile de rappeler tout ça, elle l’a écrit et bien écrit. Elle a fait une carrière. Pas grande, mais tout de même. Au cinéma, au théâtre, à la télévision, dans la librairie.

On me dit qu’elle joue en ce moment La Folle de Chaillot, pièce de Jean Giraudoux. Les critiques, ajoute-t-on, sont plutôt mauvaises. Enfin, selon la presse parcourue. Admettons.  Il faudrait que j’aille à Paris, là où ça se passe. Au Théâtre des Champs-Élysées. Mais la réputation de Jean Giraudoux, ici ou ailleurs, de nous jours ! Oui, un choix à avoir des histoires.

Ayant bonne mémoire, je revoie Annie Legras danser sur les tables à La Cahotte. C’est vous dire la jeunesse de ce temps ! Annie, un peu échauffée dirons-nous. Mais très jeune fille. Seigneur, qu’elle était belle ! Elle l’est toujours. Avec cependant, dans le regard, quelque chose de moins vif. De plus éteint. L’insouciance d’autrefois aurait-elle disparu ? Elle seule sait pourquoi.

La Cahotte se trouvait rue Beauvoisine, dans le haut, peu après le Muséum. Ça n’existe plus. A présent, d’autres lieux. Pourquoi voudriez-vous qu’il en soit autrement ? Il y a une vingtaine d’années, à l’occasion d’une rétrospective des photos de son père, Lucien Legras, la petite Annie est revenue ici. C’était dans la galerie de la rue de la Chaîne. Ah, me dit-elle, vous êtes toujours là. Elle entendait : vous êtes toujours à Rouen. Oui. Ça sonnait comme un reproche. Vrai qu’il faudrait quitter Rouen lorsqu’il en est encore temps. Après c’est trop tard. Mais avant, c’est quand ?

Rue de la Chaîne, l’assistance, le lieu, tout sentait un peu le cérémonial. Qui plus est, dans un protocole pas mal municipal (ou culturalo-municipal). On ne se tutoie plus ? C’était à se le demander. Mais pourquoi l’aurai-je fait ? Elle, distante, comme ennuyée d’être accaparée par d’autres gens. Tous datant de bien après La Cahotte et de bien après Lucien Legras. De ce dernier, les photographies étaient (sont) à la mesure du temps où il les fabriquait : en noir et blanc, sereines et élégantes, toujours froides. Même ensoleillées, peu riantes. Très rouennaises, en somme, comme on les aime. Enfin, je parle pour moi.

Aussi, à l’époque où La Cahotte existait, on s’amusait avec beaucoup de sérieux. Comme dans La Folle de Chaillot, à tout prendre, pièce longue et bavarde où la salle est souvent longue à chauffer (terme de métier). Si les comédiens y souffrent plus que les spectateurs, c’est leur affaire. Pour en revenir à la jeunesse d’aujourd’hui, celle fréquentant ces fameux autres lieux (qu’on trouve où ?) que fait-elle, rie-elle, s’amuse-t-elle ? Avec assurance, on dira que oui. Autant que celle d’hier ou celle d’avant. Mais pas plus. Dans ce genre, génération après génération, le temps ne fait rien à l’affaire. Enfin, il paraît.

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